Education : « Je suis de Léo, mais même les fous me connaissent au Yatenga » avoue Souleymane Nignan, enseignant à la retraite

Souleymane NIGNAN est un acteur de l’éducation Burkinabè à la retraite. Originaire de la province de la Sissili et âgé d’environ quatre-vingt ans, il est rentré définitivement au natal après avoir passé une cinquantaine d’année au Yatenga dans la région du Nord. Le mercredi 11 janvier 2023, la veille de son retour au « bercail », Educmédias s’est entretenu avec celui qui parle des sentiments de remords de quitter la ville dans laquelle il a fait presque toute sa vie. Lisez plutôt !

, Partir pour se soumettre au droit d’ainesse , selon Souleymane Nignan

EDUCMEDIAS : Présentez-vous aux lecteurs EDUCMEDAIS ?

Souleymane NIGNAN  : Je suis Nignan Souleymane, ex directeur de l’école primaire privée du complexe éducatif Zoodo de Ouahigouya. Actuellement je viens de prendre ma deuxième retraite. Oui, je parle de deuxième retraite parce que j’ai d’abord fait 35 ans dans la fonction publique en tant qu’enseignant et admis à la retraite en 2002. Et le 03 janvier 2003, j’ai pris service à l’Association Développement Sans Frontière (DSF) jusqu’en 2023 soit 20 ans de service pour ma deuxième carrière. A l’heure où je vous parle je suis en train de quitter définitivement le Yatenga pour m’installer à Léo, chez moi dans la Sissili.

EDUCMEDIAS : Comment êtes-vous venus dans le métier de l’enseignement ?

Souleymane NIGNAN (NS) : Chez nous à Léo, tous nos grands frères après les études secondaires, sortaient comme enseignants. Et tout naturellement, nous petits frères avons voulu emboiter les pas de nos ainés d’où mon entrée dans l’enseignement. Pour cela, après mes études post primaires au collège d’enseignement de Ouahigouya où je suis de la deuxième promotion, j’ai été envoyé après mes quatre années, au Cours Normal Antoine Roche, actuel lycée Yamwaya pour une année de formation professionnelle pour devenir Instituteur.

, les derniers moments avant son départ pour le Natal

EDUCMEDIAS : Quel a été votre parcours après l’école de formation professionnelle ?

NS : Après ma formation d’enseignant, J’ai été affecté à Djarakoko, dans la Comoé pour mon premier poste d’enseignant du primaire où j’ai fait sept ans. En 1974, j’ai été affecté à Réo comme adjoint et par la suite nommé directeur de l’école primaire « Réo garçon » en 1984. A la même année malheureusement, j’ai pris part à un mouvement de grève des enseignants et nous avons été tous licenciés. J’ai traversé une période très difficile durant cette période de licenciement.

A la suite de cette perte d’emploi, j’ai participé aux différentes opérations de la révolution. J’ai aidé à construire des cités à Koudougou, Léo et ensuite je suis parti à Ouagadougou pour participer à l’opération ville blanche dans le but d’avoir plus de points pour être réintégré. En son temps, le gouvernement avait demandé de blanchir tous les arbres et maisons qui sont au bord des grandes routes. Dans la même ville, j’ai pris part également aux travaux de construction de l’école primaire du secteur 16 de Ouaga. Après tout cela, le gouvernement a voulu reprendre certains de nos camarades licenciés et les populations du secteur 16 m’avaient rassuré que j’allais être repris et même resté là-bas comme directeur de l’école où j’ai pris part à la construction. Malheureusement, je n’ai pas été pris après avoir rempli les fiches de réintégration que j’ai déposées au secrétariat général du Service National pour le Développement. C’est mon ami avec qui j’ai déposé qui a été retenu à cette occasion et il me fallait attendre encore. C’est plus tard que j’ai eu la chance d’être repris et affecté au Yatenga.

EDUCMEDIAS : Vous êtes aujourd’hui au Yatenga, comment s’est passé votre parcours au Nord ?

NS : Après ma reprise comme enseignant, l’Inspection du primaire était dirigée par un de mes anciens professeurs d’anglais, Monsieur Yarbanga Kouka. Quand, il m’a vu, il a dit qu’il va m’affecter à Ouahigouya. Mais, j’ai fait savoir que je voulais rester à Réo où réside ma famille. C’est là qu’il m’a lancé en c’est termes : « tu as fait tes études secondaires et ta formation d’enseignant à Ouahigouya. C’est donc une dette que je dois rembourser ». Et d’insister que si je refusais d’aller au Yatenga, c’est à Bogandé qu’il va m’affecter. En son temps, personne ne voulait aller là-bas car il n’y avait pas de route. C’est ainsi que j’ai pris la route du Yatenga, d’où mon affectation à Ouahigouya 4.

EUCMEDIAS : Votre parcours au Yatenga ou encore dans la région
du Nord ?

, ll fut professeur de remise à niveau en calcul à l’ENEP de Ouahigouya lors d’une sortie de promotion.

NS : Arrivé au Yatenga, c’est feu Ouédraogo Jean Marie qui était l’Inspecteur. Nous étions deux nouvellement arrivés et par coïncidence, il restait deux postes vacants dont l’école de Toulfé et celle de Bouga. Et en son temps, Gouyal-Moré qui était au Gabon s’occupait bien des enseignants de ce village et on se disputait pour aller là-bas. Au finish, c’est par tirage que j’ai rejoint Bouga comme adjoint.
Je suis arrivé à Bouga avec le grade d’Instituteur certifié alors que le directeur est Instituteur adjoint certifié. Après avoir passé le reste de l’année, il y’a eu une ouverture à Souly et Gourga en octobre 1986. J’ai opté d’ouvrir l’école du village de Gourga ou j’ai fait sept (7ans). J’ai présenté ma première promotion avec un très bon résultat. Et c’est de Gourga que nous avons été formés pour être les tous premiers Instituteur Principaux (IP). Au vu de mes performances de Gourga, l’Inspecteur m’a affecté à l’école Bimbilin C en 1992 comme directeur et j’y suis resté jusqu’à ma retraite en 2002.


EDUCMEDIAS : Parlez-nous d’un fait marquant de votre carrière que vous tenez en tête durant votre séjour d’enseignant au Yatenga et à Réo. ?

NS  : Quand je suis arrivé à Bouga, j’ai trouvé Ouédraogo Saidou comme directeur et monsieur Sawadogo. Et les deux ne s’entendaient du tout pas car l’adjoint n’acceptait pas donner son cahier de préparation pour visa à son directeur. Il se justifiait comme quoi le directeur et lui sont tous du même grade pire, il n’avait pas son niveau lorsqu’ils étaient à l’école de formation. J’ai joué au médiateur tout en continuant à travailler, faisant ma préparation comme il se doit. Etant Instituteur Certifié (IC) le directeur qui est instituteur adjoint faisait le visa de mon cahier sans savoir même. Pour rappel, je suis arrivé à Bouga après mon licenciement avec le grade d’IC première classe, 3e échelon. Mais les deux ne savaient pas que je suis Instituteur certifié. Quand l’Inspecteur m’a proposé d’aller ouvrir l’école de Gourga, J’ai demandé à remplir le registre du personnel de l’école afin de laisser mes traces.

, La modestie et l’humilité paient toujours

Et quand j’ai remis le registre, le directeur a sursauté en ces termes «  Mais vous êtes mauvais, vous êtes IC et vous continuez à faire la préparation pour moi » . Et je lui ai dit qu’on m’a affecté en tant qu’adjoint et je dois faire mon travail comme il se doit. Et quand je suis venu en ville, je suis resté un bon ami de Seydou qui m’appelle « directeur » jusqu’à ce jour. C’est le premier fait marquant car dans la vie, il faut savoir rester humble et modeste car cela nous permet d’éviter beaucoup de problèmes. A Réo en 1981, notre directeur a eu le concours des Inspecteurs et nous étions tous adjoints. Il fallait responsabiliser un de nous pour diriger l’école ou envoyer quelqu’un d’ailleurs. J’ai eu la chance d’être nommé directeur. Mon collègue qui tenait le CM a refusé de tenir la classe tout en sachant que je n’ai pas l’expérience, c’était lui le spécialiste des CM2 de notre école. Alors qu’en son temps, c’est moi qui tenait le CE, le directeur partant au CM1 et mon collègue Thomas le CM2. Et à la rentrée, en tant que spécialiste de CM2, il a refusé croyant que je vais récolter la honte. J’ai donc affronté mon destin et en fin d’année j’ai eu un résultat de 75% au concours d’entrée en sixième. C’était le meilleur résultat en son temps dans tout Réo, et mieux ce n’est pas un examen, mais un concours. Je remercie Dieu pour m’avoir donné la grâce d’impacter positivement dans ma carrière d’enseignant.

EDUCMEDIAS : D’où est venu votre engagement dans le milieu associatif ?

Photo de famille d’au revoir

NS : Avant la création de l’Association Développement Sans Frontière (DSF), nous étions tous enseignants dans la ville de Ouahigouya. C’est ainsi que la création de l’association a eu lieu et si je me rappelle bien c’est sur ma terrasse que les premiers textes de DSF ont vu le jour. Et comme je venais d’arriver en ville à Bimbili, il fallait mettre l’accent dans les activités en classe et je suis resté un peu à l’écart pour la raison. Aussi, je donnais des cours de remise à niveau à l’ENEP, au centre de Tangaye créé par la bibliothèque avec Salifou SODRE comme président. Et pour mieux nous consacrer à l’association, SODRE a cédé cette fonction pour mieux travailler pour l’association et nous sommes venus à DSF. Et c’est dans ce contexte que j’ai pris fonction à DSF en 2002 comme superviseur général des activités jusqu’en 2009. Je m’occupais en même temps de la construction et des documents de reconnaissance officielle du complexe. En 2009, le coordonnateur SODRE m’a demandé de diriger ce complexe notamment le primaire, le secondaire et le centre de formation aux métiers. Et je suis resté directeur du primaire jusqu’à ma retraite en fin décembre 2022.

EDUCMEDIAS : Plus de vingt ans avec le coordonnateur SODRE, rappelez-nous quelques moments qui vous ont marqué ?

NS : Oui, il faut savoir que nous sommes des amis, collègues et engagés dans une mission associative et je savais ce que nous recherchions avec cette organisation. Pour vous parler d’un des moments marquants, quand nous commencions, la zone de Tangaye avait à peine un taux de scolarisation de 16% et nous avons travaillé pour remonter le taux de scolarisation à 70 %. C’est un des faits marquants de mon passage à DSF. En tant qu’enseignant, c’est un fait dans ma vie, surtout mon séjour à DSF car nous avons fait un bon travail au profit de la commune.

EDUCMEDIAS : Comment avez-vous fait pour remonter le taux de scolarisation à 70% ?

, souvenir de terrain dans la commune de Tangaye, dans le Yatenga

NS : Il faut noter que pour faire face à un problème, il faut comprendre les causes réelles. Et avec DSF, nous avons fait l’étude du milieu qui nous a permis de comprendre les causes de ce faible taux de scolarisation. C’est ainsi que nous avons travaillé pour la délivrance des actes de naissance aux enfants scolarisables, la dotation en kits complets de fournitures des classes de CP1 au CM2, des tenues scolaires dans toutes les 30 écoles en son temps, la formation de tous les enseignants de la zone de couverture et mener des activités de sensibilisation. C’est toute une batterie de stratégies que nous avons mis en place pour changer positivement la donne.

EDUMEDIAS : Quel sentiment vous anime à l’heure où vous quittez définitivement le Yatenga ?

NS : Vraiment, c’est avec un pincement au cœur que je pars car durant mon séjour, je n’ai jamais été humilié, je n’ai pas eu de problème avec un citoyen du Yatenga. La preuve est que certains, lorsqu’ils me croisent au restaurant, ils me payent à manger. Je te raconte une histoire : « un jour, au faut tricolore de l’hôtel du Nord, un « fou », m’a accosté en ces termes : « Karsamba, nin yobeogo, M’bonsda pissi » (bonjour monsieur l’enseignant, je demande 100 F CFA) ».

Et j’étais ébahi, car après avoir fait le geste je me suis dit, hé !, Nignan même les fous du Yatenga te connaissent. Pour dire que c’est une grâce que j’ai eue durant tout ce temps ici. Je voudrais donc profiter de cette occasion pour saluer mes voisins, anciens élèves de Djarabokoko, ceux de Bouga, Bimbilli, anciens collègues, amis pour tout ce qu’ils ont fait pour moi. Je remercie les populations de la région du Nord car, j’ai fait beaucoup de localités et j’ai rencontré vraiment de vrais hommes. Quant à DSF, El Hadj SODRE et l’ensemble du personnel, je manque de mots, merci pour tout. Longue vie à la famille DSF, que la paix revienne au Burkina Faso.

, partir malgré tout

EDUCMEDIAS : Si vous avez aussi des remords en quittant le Yatenga, pourquoi ne pas rester dans cette chaleur ?

NS  : Humm, Oui ! Je pars parce que je me trouve dans l’obligation de quitter, car il me reste un seul grand frère de 89 ans qui est le chef de la famille qui m’a supplié de revenir l’épauler. Et pour moi, refuser de répondre favorablement à sa demande, c’est salir tout ce que j’ai fait toute ma vie voilà pourquoi je rentre au village. Je ne vais pas m’assoir à Léo car, après la retraite et l’âge que j’ai, ce n’est pas bon. Je vais m’occuper des vergers de mes nièces et vaquer à d’autres occupations car, la vie, c’est l’action continue donc pas de repos.

Propos recueillis et retranscris par Drissa Wendbark, EDUCMEDIAS

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